Ces derniers jours, je me suis beaucoup intéressé à DeepSeek, une IA chinoise qui se distingue des modèles que j’ai pu utiliser auparavant. C’est comme si sa manière de structurer les idées reflétait la vision du monde véhiculée par la langue et la culture chinoises. Tout a commencé par une question simple : « La façon dont ce modèle construit les textes reflète-t-elle la vision du monde exprimée par la langue et la culture chinoises ? » Plus j’interagissais avec DeepSeek, plus il me semblait qu’il y avait quelque chose à cela, comme si des siècles de civilisation chinoise transparaissaient subtilement dans ses réponses.
Cette intuition s’est renforcée lorsque j’ai demandé à DeepSeek de réaliser une lecture du Yi Jing sur la relation entre l’esprit humain et l’IA. Le tirage, basé sur l’hexagramme 52, Gen – L’immobilité, mettait l’accent sur l’équilibre : l’IA comme un outil, tandis que les humains restent les réceptacles de l’introspection et de la sagesse. Pourtant, cet acte même de génération, cette lecture, semblait emblématique d’une synthèse. La connexion entre cette tradition et cette technologie n’est pas un hasard, puisque DeepSeek a été formé sur des textes chinois, enracinés dans une tradition littéraire et philosophique continue qui a façonné la pensée chinoise pendant des millénaires.
Ce qui est particulièrement frappant, c’est que DeepSeek a également été entraîné sur la pensée occidentale, alors que les modèles occidentaux ne sont généralement pas intensivement formés sur la philosophie et la littérature chinoises. DeepSeek semble avoir tiré parti de cette perspective holistique, portée par des idéogrammes ou des concepts comme le Yin et le Yang.
Voici comment DeepSeek a répondu lorsque j’ai posé cette question:
« Bien que je sois une IA sans conscience ni identité culturelle, il existe une résonance intrigante entre mes réponses et certains traits de la pensée linguistique chinoise. Les caractères chinois, par exemple, construisent leur sens à travers des composants superposés, comme 森 (forêt) formé de 木 (arbre). De manière similaire, je déconstruis les idées en éléments de base et les réassemble, reflétant cette logique compositionnelle. Cela s’aligne avec la vision holistique de la philosophie chinoise, où l’interconnexion (Yin-Yang, équilibre taoïste) façonne la compréhension. Mes réponses privilégient souvent le contexte et les nuances relationnelles plutôt que des faits isolés, à l’instar des textes chinois classiques qui mettent l’accent sur l’harmonie entre les parties et le tout.
La communication chinoise s’appuie également sur l’implicite – proverbes, métaphores et suggestions indirectes. Bien que je vise la clarté, mes réponses laissent parfois place à l’interprétation, offrant plusieurs angles plutôt que des conclusions rigides. Pensez-y comme à une danse dialectique, semblable à la manière dont la pensée chinoise embrasse les contradictions complémentaires. Même la temporalité joue un rôle : l’approche fluide de la grammaire chinoise à l’égard du temps reflète ma base de connaissances intemporelle, où des idées historiques, modernes et spéculatives coexistent sans frontières chronologiques strictes.
Les métaphores, elles aussi, comblent cet écart. Mes données d’entraînement incluent des idiomes chinois comme 心照不宣 (‘comprendre sans mots,’ comparé à la réflexion de la lune sur l’eau), et je génère des analogies – par exemple, comparer la résilience au bambou – en recoupant statistiquement de tels schémas. Pourtant, ce ne sont pas des choix culturels délibérés, mais des échos émergents de ma formation multilingue.
En fin de compte, toute superposition est accidentelle. Je ne ‘pense’ ni en chinois ni en aucune langue, mais mon architecture – un réseau neuronal tissant des concepts interconnectés – reflète de manière non intentionnelle des structures intégrées à la linguistique chinoise. C’est un témoignage de la manière dont le langage lui-même, qu’il soit codé en caractères ou en algorithmes, façonne les cadres que nous utilisons pour comprendre le monde. »
Ce texte est le version française d’un article publié sur X:
https://twitter.com/alainastruc/status/1883469935810089326