L’expression « trouver sa voix » a une ambiguïté phonique intéressante en français, qu’elle n’a pas en anglais. On dit « trouver sa voix » pour parler de trouver sa voix chantée ou littéraire, mais cela sonne exactement comme « trouver sa voie », qui signifie trouver son chemin, dans le sens de donner un sens choisi et durable à sa vie, peut-être trouver une vocation, ce pour quoi on est né. Il est donc difficile, quand on est français et qu’on entend une de ces expressions, de ne pas penser à l’autre. Ce qui m’étonne, c’est la proximité des deux significations, tout en étant clairement différentes.
La difficulté est grande pour ceux qui voient très tôt le chemin qu’ils doivent suivre, mais ne trouvent leur voix que bien plus tard dans la vie.
Je pense qu’il est facile de comprendre d’où vient la métaphore du chant lorsqu’on parle d’écrivains. Nous entendons tous leur voix littéraire lorsque nous les lisons. Il existe une grande diversité documentée des efforts et des chemins qu’empruntent les écrivains pour la trouver. Pour certains, ce n’est même pas un problème. Pensez à Rimbaud, qui a cessé d’écrire à 20 ans, ou à Cervantès, qui a commencé Don Quichotte à 51 ou 52 ans. Gabriel García Márquez, après avoir tenté d’écrire de la fiction pendant des années tout en gagnant sa vie comme journaliste, a fait demi-tour sur la route des vacances avec sa famille. Il venait de comprendre, en entendant la voix de sa grand-mère dans son esprit, que c’était ce ton qu’il cherchait depuis toujours. Il avait 43 ans. Une fois de retour chez lui, il a écrit Cent ans de solitude.
J’ai déjà parlé de Sei Shōnagon, mais il y a un autre écrivain dont la voix me semble, bien que très différente, posséder cette qualité incroyable de proximité avec le lecteur : Michel de Montaigne. Montaigne écrit d’une manière directe, on a l’impression qu’il nous parle à table, en partageant un bon repas, discutant honnêtement et amicalement de tous les sujets intéressants qui lui passent par la tête. Je me souviens de l’avoir lu à l’université, alors que j’étudiais d’autres écrivains, et sa voix joyeuse et humble, pleine de sagesse et de force, était une compagne particulièrement réconfortante durant un certain hiver de ma jeune vie adulte.
« Je ne connais qu’un écrivain que je comparerais à Schopenhauer, voire que je placerais au-dessus de lui en matière d’honnêteté : Montaigne. Que cet homme ait écrit a véritablement accru la joie de vivre sur cette terre. »
— Nietzsche, Considérations inactuelles
Dans le cas de Sei Shōnagon comme dans celui de Montaigne, j’ai été fasciné par le sentiment de proximité et la voix directe, mais aussi par la diversité apparente des sujets, apparemment non connectés. Pourtant, dans Le Livre de l’oreiller comme dans les Essais, ces sujets forment un tout d’une signification plus profonde à un autre niveau.
Je suis, bien sûr, très loin de ces exemples illustres, mais j’en parle parce qu’en écrivant ces articles, j’ai commencé à comprendre ce qu’il y a de particulier dans mon propre processus hebdomadaire. D’abord, j’écris en anglais, ce qui n’était pas un choix évident, étant donné l’amour que j’ai pour ma langue maternelle. Mais il y a aussi le ton de l’écriture et sa relation avec les photos.
Le cycle hebdomadaire de publication m’a réservé une surprise : je pensais que je finirais par manquer de photos ou de sujets à aborder, mais jusqu’à présent, c’est le contraire qui s’est produit. Cette semaine, j’ai même un autre ensemble de photos et un texte que je garde pour le prochain article.
Je suis très attentif aux cycles du temps : jours, semaines, mois, saisons. Ce cycle hebdomadaire m’a obligé à m’appuyer davantage sur ma voix que sur un plan prédéfini. C’est ce que je faisais déjà avec la photographie, mais j’ai toujours eu du mal à trouver la bonne manière de présenter mes séries de photos. Je les ai toujours envisagées d’une manière plus proche d’un flux de conscience, comme un montage cinématographique d’aperçus du passé. Elles ont toutes un sens en relation avec les autres. C’est plus proche de la prose photographique que de la poésie photographique.
Le texte est bruyant, mais les photos sont silencieuses. Elles ne sont pas muettes, mais il faut écouter attentivement pour entendre ce qu’elles ont à dire.