
Bayrou a réalisé un exploit : supprimer la seule initiative culturelle positive de l’ère Macron, qui fonctionnait vraiment. Encore mieux, il gèle la partie collective destinée au monde de l’éducation et laisse tranquille la partie individuelle qui met 300 euros dans la poche des ados pour faire du shopping culturel. En gelant la part collective du Pass Culture, il ne fait pas qu’économiser quelques millions. Il rompt un lien essentiel entre l’école et le monde artistique, met en difficulté des enseignants qui s’en servaient pour donner du sens à l’éducation culturelle et prive les artistes ainsi que les structures culturelles d’une opportunité de partager leur savoir-faire avec les jeunes.
Bien sûr, il est normal de vouloir faire des économies, et personne ne conteste que l’argent public doit être dépensé intelligemment. Mais ici, on coupe un dispositif qui marchait, qui avait un coût modéré et dont les bénéfices étaient concrets. On ne touche pas à la part individuelle du Pass Culture, qui est bien plus coûteuse et contestée, mais on supprime ce qui permettait à des jeunes de rencontrer des artistes, d’assister à des spectacles et de découvrir des pratiques artistiques qu’ils n’auraient jamais croisées autrement. Pourquoi ?
Le Pass Culture, mis en place en 2021, reposait sur deux volets. La part individuelle permettait aux jeunes de 15 à 18 ans de dépenser une somme attribuée pour des biens culturels comme des livres, des places de concert ou des abonnements numériques. La part collective, elle, était financée directement dans les établissements scolaires pour organiser des sorties culturelles, des rencontres avec des artistes, des ateliers et des spectacles.
Si la part individuelle a été critiquée pour favoriser la consommation de mangas ou de jeux vidéo, un indice de la vision qu’a notre classe politique de la culture, la part collective, à l’inverse d’autres initiatives plus floues, fonctionnait réellement et jouait un rôle essentiel : offrir aux élèves la possibilité de découvrir des formes d’expression artistique auxquelles ils n’auraient jamais eu accès autrement.
Ce qui faisait la force du Pass Culture, c’était qu’il ne se limitait pas aux institutions traditionnelles. Il ne s’agissait pas simplement d’emmener des élèves voir une exposition dans un grand musée ou une pièce classique dans un théâtre subventionné. Grâce à ce dispositif, les enseignants pouvaient inviter des artistes du terrain, musiciens indépendants, réalisateurs, photographes, plasticiens, ceux qui vivent et font vivre la culture au quotidien. Ces rencontres montraient aux jeunes que la création artistique n’était pas réservée à une élite, mais qu’elle était accessible et proche d’eux.
J’ai moi-même travaillé via une structure tierce dans le cadre du Pass Culture, et je m’apprête à faire ma première intervention en mon nom propre la semaine prochaine. Je n’ai même pas eu le temps de la réaliser que le budget a déjà été gelé. Ce dispositif fonctionnait, permettait aux artistes indépendants de partager leur travail, d’être rémunérés, et de contribuer activement à l’éducation culturelle des jeunes. Il ne méritait pas d’être supprimé.
Bien sûr, il est légitime de vouloir utiliser l’argent public de manière pertinente et économe. Mais avant de parler de restrictions budgétaires, il faudrait regarder où l’argent est réellement dépensé. Le Pass Culture reposait sur un système double assez inégal. La part individuelle coûtait bien plus cher à la collectivité que la part collective, avec un budget d’environ 210 millions d’euros en 2024, contre 50 millions d’euros pour la part collective. La part collective était un succès indéniable, avec un coût bien plus faible mais un impact réel sur l’éducation culturelle des jeunes.
C’est un comble, car la part collective était justement celle qui avait vocation à être financée par la collectivité. La part individuelle, elle, bénéficiait directement à des achats personnels, parfois discutables certainement. On prive ici les jeunes d’une expérience commune, structurante, pour préserver un modèle de consommation individuelle qui, bien qu’intéressant, ne remplit pas le même rôle.
Or, ici, le choix fait est le pire possible. On garde ce qui est discutable et on supprime ce qui était plébiscité. Si l’on veut faire des économies, autant commencer par regarder l’argent dépensé sur des dispositifs inefficaces ou coûteux, plutôt que de frapper ce qui fonctionne.
Je suis Gen-X et fataliste. Je ne crois ni à la mobilisation ni à un sursaut politique. La suppression de la part collective du Pass Culture ne fera pas descendre les foules dans la rue, et certainement pas moi, mais elle en dit long sur notre époque. En France, tout semble verrouillé. On ne croit plus aux ajustements ni aux compromis. On attend, en espérant que quelque chose finira par rebattre les cartes, en se disant qu’il n’y a plus qu’un événement majeur qui puisse le faire. Mais lequel ? Et à quel prix ?