DANS LA VALLÉE DE L’ÉTRANGE, 2023
par Alain Astruc

LES JARDINS DE CAHORS
Cette exposition est le fruit d’une commande du festival d’art Cahors Juin Jardins, qui m’a demandé de travailler sur les jardins privés ouverts pendant la durée du Festival, et qui sont à la base de la vie du festival depuis ses débuts historiques.

LE SURGISSEMENT DE L’IA
L’idée derrière ce projet a été d’utiliser les nouvelles formes de génération d’images via l'intelligence artificielle qui sont apparues durant l’été 2022 et dont on a observé l’évolution stupéfiante depuis, pour confronter et questionner ces nouvelles formes de création d’images face à la nature domestiquée des jardins.

TROIS NIVEAUX DE RÉALITÉ
J’ai choisi d’organiser mon travail en trois niveaux distincts de représentation de la réalité. Tout d’abord, 14 photographies numériques classiques s’attardant sur un détail de chacun des jardins privés. Cette sélection de photographies a ensuite servi de modèle pour générer une image par jardin à l'aide de l'IA. Ensuite, 14 images ont été générées entièrement à partir de mots en langage naturel, sans modèle visuel issu de la réalité. Je les utilise pour explorer ce qui émerge dans les images hybrides : l’ouverture vers un autre monde onirique, imparfait, synthétique, séduisant autant qu'inquiétant.

ARTIFICIEL MAIS ENRACINÉ
Je m'appuie essentiellement sur ces images pour explorer mon imaginaire lié à cette terre du Lot dont je suis originaire. Ainsi, à quelques exceptions près, ce sont des paysages et des scènes que j'imagine dans un présent, un passé relativement proche ou très lointain, alternatif, entièrement faux, mais évoquant malgré tout des éléments de paysages, de lieux ou d’événements biographiques réels, ainsi que des images aux sources plus mystérieuses. La création de ces images est rendue possible grâce à ce qui est pour moi la caractéristique principale de cette nouvelle technologie : l'utilisation du langage naturel pour générer des images.

LA MAGIE DES MOTS
Si la fabrication d’images par des moyens informatiques n’est pas nouvelle et fait même partie de notre vie courante sous la forme de graphismes ou d'effets spéciaux de cinéma, par exemple, la particularité de ces images réside justement dans une sorte de poésie du prompt. Il s'agit de travailler son invitation informatique de manière à générer des images à partir de données d'apprentissage qui représentent une représentation et une bibliothèque de la culture et de l'imaginaire visuel collectif.

LA VALLÉE DE L’ÉTRANGE
Cette vallée de l'étrange, c'est un peu la vallée du Lot pour moi, mais c'est avant tout cette expression inventée par Masahiro Mori pour décrire le malaise qu'on ressent face à une imitation robotique ou numérique imparfaite de la figure humaine.

UN GOÛT POUR LA PHOTOGRAPHIE CLASSIQUE
Rien ne me prédestinait apparemment à me passionner pour ce sujet, car dans mon travail de photographe, je fais partie d'une école française qui privilégie la simplicité du 50mm, le matériel léger et la recherche de la poésie dans la vie quotidienne. Je tiens un journal depuis 20 ans, dans lequel je chronique ma vie personnelle de façon plus ou moins oblique, toujours dans l'espoir un peu fou de saisir le moment où l'invisible devient visible.

LA SYNTHOGRAPHIE
Mais si la synthographie, telle que j'ai décidé de l'appeler à la suite d'artistes américains, n'est à mon avis en aucune manière de la photographie, elle a justement ce don de rendre une forme d'invisible visible, de manière technologique, imparfaite, controversée, fascinante, inquiétante. Pour moi, la connexion rapide entre le monde des mots, de l'inconscient et la création d'images rappelle paradoxalement que l'élément le plus important de la technologie est l'humain qui l'utilise.

"Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner
Oubliez votre offrande parfaite
Il y a une fissure, une fissure dans tout
C'est comme ça que la lumière entre"

— Leonard Cohen, Anthem