Gardez les rues vides pour moi

Chers lecteurs, je n’arrive pas à croire qu’il m’a fallu dix semaines pour guérir de mon orteil cassé.

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La dernière fois que je me suis cassé un orteil, c’était à Montréal, et il a guéri en trois semaines. Est-ce que je vieillis ? Bien sûr que oui.

Il y a à peine trois semaines, je ne pouvais pas marcher plus d’un kilomètre sans souffrir au point de devoir m’arrêter. Mais cette douleur a disparu depuis une semaine, et c’est une bonne chose, car pour moi, la photographie et la marche vont de pair. Qui a dit que le meilleur équipement d’un photographe, c’est une bonne paire de chaussures ?

Vendredi matin, j’ai fait ma première promenade sans douleur dans mon quartier.https://open.spotify.com/embed/track/3gFkY3sqxEus2OO1Zh118v

L’automne évoque probablement des paysages magnifiques, des feuilles dorées sur un sol moussu, mais je vis dans une petite zone urbaine, et si le sentiment de changement saisonnier est là, il se manifeste visuellement par le retour de la brume.

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Et quand vous sortez à neuf heures du matin, ce que vous voyez, ce sont des rues calmes et désertes.

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On dit qu’en octobre, le monde des vivants et l’autre monde deviennent si proches que des passages s’ouvrent brièvement, avant la rudesse de l’hiver.

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Ce sentiment étrange peut être ressenti partout si l’on y prête attention.

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« Morning, keep the streets empty for me »

Ce sentiment n’est pas lié à un lieu spécifique, mais au passage des saisons, à la météo, à notre horloge interne naturelle. Cela arrive partout.

Il n’y a pas de lieux poétiques à photographier, tout comme il n’y a pas de mots poétiques à écrire dans les poèmes. Comme la poésie, la photographie est une alchimie qui prend racine dans la vie et dans la matière même du monde, mais qui montre quelque chose qui n’est pas dans la chose photographiée.

2022-10-07-IMG_3753 / Henri Martin « Charité » 1895 (detail)

Contrairement au peintre, qui peut convoquer des idées dans ses images faites à la main, le photographe doit composer avec la réalité d’une manière ou d’une autre.

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Les photographes dont le travail me parle le plus sont ceux dont les photos du banal parlent d’autre chose : indéniablement d’eux-mêmes, mais peut-être aussi de quelque chose d’encore plus insaisissable.

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La photographie est une manière d’être dans le monde, qui canalise une sorte d’alchimie qui n’arrive qu’avec elle.

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Elle présente toujours la réalité, mais montre aussi quelque chose qui n’est pas évident en même temps.

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La photographie naît de la tension entre ce qui est évident et ce qui ne l’est pas.

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ODimanche, avant le déjeuner, sur la colline, nous sommes allés chercher des fossiles.

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Si vous ne regardez pas attentivement, ce ne sont que des pierres, partout.

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Les sentiers sont toujours là, mais jamais tout à fait les mêmes d’une fois à l’autre.

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Les roches qui sont là depuis toujours pourraient contenir l’image de quelque chose qui a vécu il y a des millions d’années.

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Si vous regardez de près et que vous ouvrez les bonnes pierres, les images sont là.

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Des images fossiles, des ombres du passé, des photographies..

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« Memory comes when memory’s old »